La décision du Président de la République, celle d’instrumentaliser la disparition de Guy Moquet au nom d’un patriotisme racoleur, suscite débats et controverses. On peut comprendre que des enseignants aient le sentiment de subir « une injonction » en décalage avec la réalité de leur métier, en décalage avec la capacité des historiens… et des professeurs d’histoire à dire, sinon l’histoire mais au moins les faits de l’histoire.
Intimer l’ordre de lire la lettre émouvante d’un jeune homme de 17 ans, rédigée, comme d’autres, à la veille de la fusillade des martyrs de Chateaubriand, au moment où certains, à droite s’acharnent à déconstruire méthodiquement le programme novateur du Conseil National de la Résistance, la création de la Sécurité Sociale en faisait partie, comme le statut de la fonction publique, a quelque chose d’indécent.
Bien sur, les communistes français, comme d’autres d’ailleurs, ont un droit légitime à ce que tout soit dit autour du symbole de cette lettre. Faut-il pour autant remplacer une instrumentalisation par une autre ? C’est une question difficile à trancher mais une question que l’intime conviction qui est la mienne conduit à estimer que Guy Moquet mérite mieux …comme mérite mieux l’avenir de la jeunesse de notre pays en ces temps difficiles.
Face à cela, la tribune d’Alain Ruscio, même si sa conclusion n’est pas nécessairement mienne quant à la lecture « obligatoire » de la lettre de Guy Moquet, rappelle douloureusement l’actualité du combat contre le racisme et l’intolérance, du combat de R.E.S.F. contre les rafles et les expulsions, combat partagé par de nombreux enseignants et bien d’autres, dont les communistes, en France…
Etienne DOUSSAIN
Tribune libre, l’Humanité du 18 octobre 2007
Je lirai la lettre de Huynh Khong An…
Par Alain Ruscio, historien (*)
Je ne la lirai pas à mes élèves, puisque j’ai quitté l’enseignement il y a bien des années. Mais, oui, je lirai la lettre de Huynh Khong An, un patriote vietnamien, un communiste français et vietnamien. À mes proches, à mes amis et même, tiens, aux participants des 7e Assises de la coopération franco-vietnamienne qui commenceront, heureuse coïncidence, précisément ce 22 octobre, à Montreuil (1).
Huynh comment ? Peu de Français, peu d’historiens, peu de ses camarades de Parti connaissent son nom.
Il a pourtant avec Guy Môquet deux points, au moins, en commun : il était communiste et il a été fusillé à Châteaubriant, comme otage, le 22 octobre 1941. Il était, par rapport au jeune Guy, un vieux. Pensez donc, il avait vingt-neuf ans !
Né à Saigon, dans ce Vietnam que les colonialistes s’obstinaient alors à appeler Indochine, il était venu en France, à Lyon, pour y poursuivre des études. Qu’il réussit brillamment, au point de devenir professeur stagiaire de français. Non sans s’investir à fond dans la vie politique française. Membre du PCF, secrétaire des étudiants communistes de la région lyonnaise, il milite beaucoup, en particulier au sein des Amis de l’Union soviétique aux côtés de son amie et compagne Germaine Barjon. En 1939, après l’interdiction du PCF, il participe à la vie clandestine de son Parti.
Nommé au lycée de Versailles, c’est là qu’il est arrêté (les sources divergent : en mars ou en juin 1941), puis envoyé à Châteaubriant. La suite, terrible, est connue.
Voici sa lettre :
« Sois courageuse, ma chérie. C’est sans aucun doute la dernière fois que je t’écris. Aujourd’hui, j’aurai vécu. Nous sommes enfermés provisoirement dans une baraque non habitée, une vingtaine de camarades, prêts à mourir avec courage et avec dignité. Tu n’auras pas honte de moi. Il te faudra beaucoup de courage pour vivre, plus qu’il n’en faut à moi pour mourir. Mais il te faut absolument vivre. Car il y a notre chéri, notre petit, que tu embrasseras bien fort quand tu le reverras. Il te faudra maintenant vivre de mon souvenir, de nos heureux souvenirs, des cinq années de bonheur que nous avons vécues ensemble. Adieu, ma chérie. »
Il y a, à Paris, au Père-Lachaise, un monument érigé aux martyrs de Châteaubriant. Sous le nom de Huynh Khong An, une simple mention, d’ailleurs anachronique : Annamite.
Je livre cette courte évocation à la réflexion. Et si la présence d’un immigré, d’un colonisé, aux côtés des martyrs français, était un clin d’oeil de l’histoire ? Et si elle prenait valeur de symbole ? Le régime de Vichy qui a livré les otages ou les nazis qui les ont fusillés ont très certainement considéré avec mépris cet étranger venu se mêler aux terroristes. Lui ont-ils demandé de prouver, par son ADN, le droit de mourir pour la France ?
Je ne suis pas partisan du boycott de la lecture de la lettre de Guy Môquet. Mais lisons également, comme en écho, comme en réponse à la xénophobie qui (re)pointe son mufle, celle de Huynh Khong An, un étranger et notre frère pourtant.
(*) Dernier ouvrage à paraître le Procès de la colonisation française et autres textes, par Hô Chi Minh, préface et textes choisis par Alain Ruscio, éditions Le Temps des cerises, 12 euros.
(1) Dans le cadre de l’exposition « Hô Chi Minh à Paris », au musée de l’Histoire vivante, 31, bd Théophile-Sueur à Montreuil (Seine-Saint-Denis), table ronde à 16 heures avec Pierre Brocheux, Thierry Levasseur et Alain Ruscio